Traditionnel, populaire, folklorique et autres dénominations

 

            Selon les époques, les pays et les auteurs, on trouvera différentes appellations de la discipline :

ethnologie musicale, ethno-musicologie, ethnophonie, folklore musical, folk-music, géographie musicale, musicologie comparée (vergleichende Musikwissenschaft), musique ethnique, musique exotique, musique folklorique, musique populaire, musiques de haute culture, musiques du monde, musiques extra-européenne, musiques primitives, musiques traditionnelles,  world music, etc.

Tous ces termes ne renvoient pas à une même réalité disciplinaire.  Le champ d'étude, les outils méthodologiques, l’ethnocentrisme ont beaucoup variés et ont conduits à l'emploi de cette terminologie abondante.

Des mots couramment utilisés aujourd’hui comme "musiques du monde", "musique extra-européenne" ou "musiques traditionnelles" sont certes commodes à employer mais sont sujets à critiques dès lors qu’ils ne cernent pas exactement les limites à peu près établies de la discipline. D'autres débordent complètement du cadre des musiques auxquelles s'intéresse l'ethnomusicologue ou au contraire ne définissent qu'une partie d'entre-elles.

Revenons sur les principaux qualificatifs que l’on trouve aujourd’hui.

- Musique des sociétés de haute culture : ces sociétés de "haute culture" désignent les cultures dont l'origine remonte aux premières grandes civilisations urbaines. Elles possèdent un sens de leur histoire grâce à l'utilisation de l'écrit qui fixe le passé et l'archive (par opposition à la tradition orale).  Cette dénomination est assez unanimement acceptée en anthropologie. Musicalement, cela va concerner les musiques "classiques" de la Chine, de l'Inde, de l'Indonésie, des pays arabes, etc. On peut toutefois remarquer que ce terme "haute culture" doit en principe s'opposer à "basse culture", ce qui n'est pas le cas. Utiliser une expression renvoyant dans d'autres contextes à un jugement de valeur est préjudiciable. Celà pourrait pousser à considérer que les hautes cultures , celles de l'écrit, sont supérieures hiérarchiquement aux cultures de l'oralité. D'autant que l'on sait que les sociétés qui expriment les modalités de fixation et de transmission de leurs musiques via un support écrit ne se passent pas non plus de l'oralité. Il peut donc sembler plus pertinent, pour des raisons à la fois éthiques et de cohérence scientifique de préférer les termes de "musiques de traditions écrites" et "musiques de traditions orales".

- Musique folklorique : sur un plan étymologique -folklore- désigne, en anglais, le savoir du peuple. Ce terme devrait être synonyme de musique populaire. Or, de façon très dommageable, le terme folklorique renvoie aujourd'hui en Occident le plus souvent à une idée d'archaïsme, à une image de re-création à vocation touristique de pratiques musicales et festives. Il a pu aussi incarner des identités nationales de manière idéologiquement fabriquée (ex. des pays de l'Est). Il est pourtant évident que des groupes folkloriques en France et ailleurs opèrent un véritable travail artistique et patrimonial.

- Musiques archaïques : le terme d'archaïsme définit ce qui date d'une autre époque et apparaît comme désuet ou périmé. Triste sort pour l'ethnomusicologue si son champ d'investigation devait se limiter aux musiques archaïques !

- Musiques du monde : traduction française du terme world-music. Toutes les musiques sont "du monde". Et c'est là la seule critique que l'on peut opposer à cette dénomination souvent usitée : de par son imprécision, elle ne renvoie finalement à rien de très clair. Et si l'on veut entendre par ce vocable "du monde" les musiques autres qu'occidentales, on est en droit de se poser la question suivante : à quel monde appartient la musique occidentale ?

- Musiques ethniques :  A décrypter les définitions de l'ethnomusicologie, on aura compris que si cette dernière s'intéresse aux musiques ethniques, elle se penche évidemment bien au-delà. Ce terme ne se valide donc que pour une certaine catégorie des musiques étudiées. A moins de convenir par exemple que les Bretons ou les Basques forment une entité ethnique cohérente, on préférera éviter son emploi dans un contexte général.

- Musiques exotiques : l'exotisme se dit de ce qui appartient à un pays étranger et lointain, de ce qui en provient et se distingue par un caractère original. Si on excepte le côté désuet du terme, on comprend bien à la lecture de cette définition, que l'exotisme n'est pas une composante suffisante pour englober tous les champs pris en compte par l'ethnomusicologie.

- Musiques extra européennes : voilà encore une dénomination souvent employée. L’ethnomusicologie s’intéresse aussi à des musiques européennes !

- Musiques populaires : s'applique étymologiquement à "tout ce qui est propre au peuple, qui s'y rattache ou qui s'y adresse". La musique 'tekno' par exemple est aujourd’hui une musique populaire. Pourtant l’ethnomusicologie ne s’y intéresse pas directement (sinon qu'éventuellement sous un angle d’approche du type : métissages, influences occidentales dans une culture x ou y).

- Musiques primitives : le qualificatif "primitif" est usité pour certaines sociétés très loin du stade de l’industrialisation. On sait évidemment que l'état de développement économique d'une société n'influe en rien sur son degré de complexité musicale. Le terme 'primitif' est à exclure, à mon sens.

- Musiques traditionnelles : Etymologiquement (du latin traditio  : action de livrer, de transmettre), ce mot s'applique à tout ce que l'on sait ou met en pratique par transmission le plus souvent –mais pas uniquement- orale, génération après génération.  La tradition ne correspond pas nécessairement à tout ce qui est transmis mais à ce qui est reconnu comme venant du passé. On s'en sert constamment pour valider ou invalider la nouveauté. Le qualificatif "musiques traditionnelles" désigne t-il le mode de transmission (oral, par imitation) de la musique ou/et les contextes traditionnels dans lesquels on pratique cette musique ou/et encore la société elle-même qualifiée de traditionnelle ?   Mais quelle société n'est pas ou n'a pas de structures fondées sur une tradition ? Il y a aussi des traditions ou des attitudes codifiées très traditionnelles dans la musique classique occidentale; que l'on pense par exemple au public des salles de concert ou de théâtre !

On pourra lire avec intérêt, sur ce sujet, l'ouvrage de Jean During "Quelque chose se passe : le sens de la tradition dans l'Orient musical" (Ed. Verdier, 1994), qui, à partir de l'exemple iranien, passe en revue les différentes notions qui gravitent autour des multiples acceptions du mot.

- World music : catégorie marketing inventée par les maisons de disques dans les années 1980. On range sous cette dénomination toutes les musiques dont les sonorités font appels à des techniques ou des instruments exotiques (selon la définition citée plus haut). On peut y retrouver par exemple un chanteur malien dont la musique emprunte à l'Occident, comme un compositeur français contemporain qui mêlera quelques sons de tablas et de sitar à ses synthétiseurs. Qu'on ne voit là aucune critique sur la valeur esthétique de ces musiques, mais juste l'idée que la world music est souvent assez éloignée de ce qu’étudie l’ethnomusicologie.

Entre tous ces termes et les musiques qui entrent dans le champ d'étude de l'ethnomusicologie, il y a des aires de rencontre, parfois vastes, mais pas d'équivalence exacte. Les musiques ethniques rentrent complètement dans le champ ethnomusicologique mais ne le remplissent pas entièrement. A contrario, les musiques traditionnelles le remplissent aussi en partie mais le débordent largement.

Pour des raisons évidentes de commodité, et parce qu'il n'existe pas de terme en parfaite corrélation, sinon celui de "musiques de l'ethnomusicologie" dont on comprend aisément les réticences qu'il pourrait susciter (par son flou), on ne s'interdira pas l'emploi de certains de ces termes. Il s'agit juste d'avoir conscience de leurs limites sémantiques, et de les choisir précautionneusement.

 

N'oublions pas, pour finir, que toutes ces catégories sont de purs concepts occidentaux. Un travail de terrain privilégiera les catégories locales, indigènes, vernaculaires.

 

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