Processus d'acculturation, de métissage, de transculturation et syncrétismes musicaux
Ces processus ne sont pas propres à l'ethnomusicologie, certes, mais celle-ci en est un témoin direct. Beaucoup d'études actuelles rendent compte de ces changements induits par la présence de plus en plus marquée de l'influence occidentale à travers le monde. Musicalement, l'évolution se fait dans le sens de l'occidentalisation du langage (harmonisation, mise au tempérament égal, etc.), non pas pour une supposée "supériorité" de ce langage occidental, mais plutôt par la puissance des médias qui le véhiculent. Ces processus rencontrés par les chercheurs sur leur terrain leur font se poser la question même du sens de leur travail et renvoient à la question de "l'authenticité". (cf. le chapitre sur "que reste t-il à étudier, à collecter").
Face à une évidente transformation des répertoires, l'école de "l'ethnomusicologie d'urgence" préconisée par Gilbert Rouget en France (in Le Monde du mardi 30 sept.1997) s'oppose à l'école des "métissages".
La question des contacts entre groupes ethniques ou sociétés diverses, des interactions et des conséquences de ces échanges est traitée dans de nombreux ouvrages d'anthropologie. L'idée que la diversité et l'authenticité culturelle d'un groupe ethnique serait la conséquence de son isolement s'oppose à celle qui défend l'existence naturelle des échanges ; échanges qui renforceraient même la "culturation".
Fredrik Barth, anthropologue norvégien (in "ethnics groupes and bondaries", Oslo), distingue 3 types de réactions de la part de sociétés confrontées à la domination d'une autre :
1. Le groupe essaie de s'incorporer au modèle industriel et culturel, tout en essayant de sauvegarder ce qui peut l'être. C'est l'intégration et souvent la disparition de ses particularismes culturels.
2. Le groupe cherche à s'intégrer économiquement mais cherche à conserver de façon énergique son identité culturelle.
3. Le groupe essaie d'accentuer sa différence en se développant, pour mieux se protéger, et participe à des échanges.
Concernant la terminologie employée, je me réfère aux écrits de Gilles Léothaud pour leur définition.
- L'acculturation, qui englobe les processus dynamiques par lesquels une société évolue au contact d'une autre, empruntant et adoptant des éléments de sa culture.
- L'enculturation, ou l'apprentissage par un individu de connaissances possédées par son propre groupe. Elle se manifeste notamment lorsqu'un pays enseigne à tous ses habitants, y compris les minorités ethniques, la langue et la culture majoritaire. On comprend ainsi le double danger qui guette les musiques de ces minorités lorsque le pays est lui-même soumis à un processus d'acculturation !
- L'endoculturation qui désigne la transmission du savoir aux jeunes par les anciens ou la famille. C'est à cette phase initiale de l'enculturation que s'opère souvent les premières phases de fractures entre générations. La tradition jugée dépassée s'oppose à l'attrait pour une culture dominante.
- La transculturation s'opère lorsque des changements se produisent sous l'effet de facteurs internes, sans l'influence notable de contacts extérieurs.
- La déculturation est une perte de toutes les valeurs de référence, sans assimilation en contre partie de celles des autres. Elle touche les sociétés les plus archaïques, les plus vulnérables, mises en contact brutal avec la culture occidentale.
- La contre-acculturation est le fait de groupes plus solides qui de façon plus ou moins violente, manifestent un sentiment de rejet, voire d'hostilité envers la culture qui cherche à les dominer. Elle se manifeste parfois par un repli sur soi.
- La reculturation, enfin, qui se voit dans des sociétés déjà fortement acculturées, et qui entraîne un mouvement inverse de retour aux sources, de recherche et de reconstruction d'un patrimoine perdu. Le processus conduit à des résultats plus ou moins "authentiques".
Quant à la France, certaines de ses régions ont pu "reculturer" leurs chansons dites "traditionnelles" (comme "pratique de la musique traditionnelle" et non comme "pratique traditionnelle de la musique", pour reprendre un chiasme déjà entendu) que là où existait une volonté identitaire forte, une volonté politique et sociale commune de différenciation.
Parmi les très nombreux articles, on pourra lire celui de Margaret J. Kartomi "the processes and results of musical culture : a discussion of terminology and concepts" (in ethnomusicology, may 1981). Kartomi analyse clairement les termes et les concepts.
On pourra aussi se diriger vers le numéro thématique des "Cahiers de musiques traditionnelles", Vol.13/2000 dont voici le résumé :
MÉTISSAGES
Un courant important de la création artistique contemporaine, tant savante que populaire, est fondé sur les rencontres et les emprunts interculturels. Le phénomène n’est cependant pas nouveau : réalité tant physique que sociale et culturelle, le métissage adopte en musique des formes extrêmement variées. Quelles en sont les modalités ? Comment le métissage s’opère-t-il dans tel ou tel contexte ? En quoi se différencie-t-il des cas de "fusion" et d’hybridation liées à la world music moderne ? En définitive, toute musique ne témoigne-t-elle pas, à un degré ou à un autre, de processus de métissage ? C’est à ce type de questions que ce volume tente d’apporter des éléments de réponse à travers une série d’études, non seulement sur les grandes cultures métissées comme celles qu’on peut les observer sur le continent américain, mais aussi sur des cas particuliers significatifs de métissage historique ou, a contrario, sur des expériences récents de rencontre interculturelle pouvant contenir les germes de phénomènes durables.