L'observation participante ou l'implication et les difficultés de l'enquêteur sur son terrain.  

 

         Cette problématique n'est pas propre à l'ethnomusicologue mais à tout chercheur qui "fait du terrain".

La notion "d'observation participante" a été développée par Malinowski dans les années 1925-30. Elle implique de la part du chercheur une totale immersion dans son terrain pour tenter d'en saisir tous les détails, toutes les subtilités, au risque de perdre une partie d'objectivité lié au manque de recul.

Il y a là certainement une part de leurre, car, tout participant qu'il soit, et même si son terrain dure plusieurs années, le chercheur reste et demeure "l'étranger" ; un étranger qui ne peut pas tout saisir, soit par manque de référent qu'un autochtone acquiert depuis la naissance, soit parce que sa présence modifie les comportements, soit encore qu'on omet de lui dire tout ce qu'il voudrait savoir.

La présence de l'étranger entraîne une modification des comportements, et de la réalité qu'il perçoit. Sa présence participante provoque parfois même de nouveaux comportements.

L'attitude inverse de distanciation volontaire produit des effets similaires : objectivité toute relative dans le discours et informations fragmentaires.

N'oublions pas que "l'informateur" n'a pas les mêmes objectifs que l'enquêteur. Il peut ne pas comprendre sa démarche et/ou donner des réponses erronées ou incomplètes, par jeu, par manque de connaissance du sujet sur lequel il est mis à contribution, ou bien tout simplement pour faire plaisir en donnant des réponses qu'il pense que l'enquêteur attend. Et même si la qualité de la relation humaine demeure un atout essentiel dans la réussite du travail entrepris, la rationalité du chercheur se heurte malgré tout à bien des écueils.

Même un chercheur enquêtant dans son propre pays peut rencontrer des difficultés liées au secret des rituels (la rencontre personnelle que je fis avec un chercheur burkinabé qui mit des années à se faire accepter et à recueillir des bribes d'informations sur des tambours sacrés de son propre pays est là pour en témoigner). Qu'en est-il alors des connaissances du chercheur occidental sur la ritualité et la symbolique des instruments dans une ethnie qu'il ne visite que le temps d'une courte étude ?

Les clefs d'analyses et de compréhension, détenus par les autochtones, ne peuvent être acquises qu'au prix de temps et d'une grande confiance.

Cette problématique est évoquée dans de nombreux ouvrages, notamment le très bon "un ethnologue au Maroc" de Paul Rabinow (Hachette 1988). Dans "Ecoute le bambous qui pleure" de Hugo Zemp (Ed. nrf, Gallimard), qui traite de la musique mélanésienne, l'auteur privilégie ouvertement une approche émique (qui se réfère du point de vu de l'observé) à une approche étique (qui se réfère du point de vu de l'observateur). On trouvera aussi un numéro des "Cahiers de musiques traditionnelles" (Vol.11/1998,PAROLES DE MUSICIENS) consacré à cette problématique, et dont voici le résumé :

Comment les musiciens témoignent-ils verbalement de leur pratique vocale ou instrumentale ? Que disent-ils de la musique qu'ils jouent ? Quelle valeur et quelle signification donnent-ils à leur pratique ? Dans quel cadre s'inscrit-elle pour eux ? Et encore, quels discours font ceux qui, dans une culture donnée, réfléchissent au pourquoi et au comment de la création artistique : théoriciens, philosophes, esthètes, poètes ?... Quelles sont les dimensions cognitives et extra-musicales de la musique ? En un mot, comment les musiciens pensent-ils la musique ? Tel est le thème de ce dossier, qui nous offre un état de la question à travers une série d'études de cas représentatifs de régions aussi différentes que le désert de Namibie, le Tchad, le Maroc, le Pays basque, la Bretagne, la Sardaigne, la Silésie, l'Afghanistan, le Tibet, la Chine et l'Australie.

Je terminerai par une anecdote qui montre combien peuvent être multiples les approches du concept de rigeur et de rationnalité scientifique. Il y a au musée de la musique à Paris un "sitari" indien que l'on peut voir dans une des vitrines, et qui fut offert (dans un lot d'environ 100 instruments) en 1879 par Tagore, esthète, mécène, aristocrate et richissime bengali. Il avait fait beaucoup pour promouvoir la musique à Calcutta à la fin du 19è siècle. Dans un élan de générosité et de mégalomanie, Tagore avait décidé de faire découvrir sa musique aux étrangers. Il fit faire des collections d'instruments de musique qu'il envoya en europe. Emile Loubet réceptionna le "lot" français. Les conservateurs de l'époque prirent pour argent comptant ce que leur raconta Tagore sur ces instruments et leur tradition. Il fallut bien des années pour s'apercevoir qu'il avait fabriqué des instruments composites fantaisistes, leur donnant des noms sanscrits inventés ou relatifs à d'anciens instruments disparus depuis longtemps. Tout ceci créa une grande confusion. On sait aujourd'hui que cette supercherie ne partait pas d'une volonté de tromperie mais d'un désir réel de montrer une richesse instrumentale, quitte à l'inventer !

 

 

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