Problèmes de notation et de transcription

 

            La transcription rend compte à la façon d'un croquis, d'une interprétation particulière, à un moment précis. Elle est descriptive. La notation est plus prescriptive puisque elle est faite le plus souvent par le compositeur, et indique la façon dont la musique doit être jouée. Elle se réfère à des signes graphiques ayant sens dans la culture où la musique est produite.

La transcription est une démarche analytique essentielle en ethnomusicologie. Avec ou sans l'aide de l'enregistrement, une telle démarche ne peut se faire sans le support de l'écriture.

C'est par elle que le chercheur va pouvoir décrypter les structures d'une pièce musicale.

Il faut ici distinguer deux éléments : d'une part les techniques mises en oeuvre pour obtenir les conditions favorables à une transcription correcte, et d'autre part les signes graphiques que le chercheur va employer pour la réaliser.

L'enregistrement et ses bonnes conditions favorisent évidemment un travail de transcription qui pourra ensuite se faire dans des conditions plus sereines. On connaît notamment les techniques de "play-back" expérimentées par Simha Arom en Centrafrique, dont on trouvera un exposé clair dans son article "un ethnomusicologue sur le terrain, itinéraire d'une démarche" (in "Aspects de la recherche musicologique au CNRS", éd. du CNRS).

Mantle Hood n'hésitait pas à préconiser l'apprentissage des instruments dont on voulait transcrire les morceaux. Dauer, lui, suggérait de se servir d'un support filmé afin de rendre compte au mieux de ce qui se passait. On comprend les difficultés que peuvent induire ces propositions. Dans tous les cas, il ne faut pas hésiter à chanter, ou à faire chanter et jouer les pièces musicales et à poser les questions nécessaires à une bonne compréhension de la pièce (cf. les protocoles d'enquêtes dans la partie "Le terrain").

 

Le problème du choix des outils graphiques se pose avec acuité dès lors que l'on se retrouve face à une musique qui échappe au système de notation occidental. Si celui-ci est adapté, il n'y a pas de raison de le refuser. Devant des échelles microtonales, des durées incertaines ou autre, il faut s'interroger sur un système de représentation  pertinent.  Soit il existe un outil vernaculaire que le chercheur va emprunter, soit il va devoir inventer le sien, à la fois approprié à sa transcription et renseigné de façon à permettre une  compréhension et une relecture.

En ethnomusicologie, nous sommes confrontés à des problèmes de transcriptions musicales, dès lors que ce que l’on perçoit auditivement n’est pas clairement identifiable comme une note d’une hauteur précise ou un rythme mesurable.

Nous sommes alors dans la nécessité de s’interroger sur les principes même qui prévalent à la musique, et à sa conception.

Les chants bön tibétains par exemple s’entendent comme un son guttural rauque, d’une longueur et d’une hauteur indéterminée. Une notation notes à notes, outre qu’elle aura du mal à rendre compte des glissendis, des hauteurs très approximatives, et des longueurs incertaines, ne pourra qu’être critiquable en ce sens qu’elle aura fait fi des principes même qui régissent à la création de ces chants.

Le problème se pose aussi en des termes plus sournois pour l’ethnomusicologue. A l’écoute d’une musique que nous pensons pouvoir décomposer, analyser et donc graphier aisément, par la nette clarté d’un rythme mesuré ou de notes au tempérament juste, s’accompagne parfois un discours des producteurs de cette musique qui, lui, s’avère tout différent de ce que l’on avait perçu.

Des concepts que nous croyons universels sont aussi éloignés de cette culture que les leurs de la nôtre. C’est un son de plusieurs secondes, modulant dans la hauteur et dans les inflexions qui sert pour eux d’unité minimale, et la somme de ces unités qui crée "l’œuvre". Ou encore le timbre qui détermine la substance, et non pas des agencements mélodico-rythmiques.

La graphie doit rendre compte du phénomène sonore en des signes pertinents et non calqués mécaniquement de son propre système. La notion de modèle a toute son importance en ethnomusicologie. Modèles mélodiques, rythmiques, harmoniques, structurels, entités claires (dites unités discrètes) par rapport auxquelles vont pouvoir se créer d'éventuelles variations. On parle aussi, souvent, de présentation paradigmatique (en colonnes) et de présentation syntagmatique (éléments mis à la suite). La première peut être préférable à adopter dès lors qu'elle permet de mettre en évidence des cycles et des variations.

 

Quoi qu'il en soit, l'évolution constante des moyens techniques (pour l'enregistrement) et informatiques (pour l'analyse, avec notamment la disponibilité de logiciels permettant l'analyse des spectres et la fabrication de sonagrammes) est d'une aide plus que précieuse pour le travail de décryptage et de compréhension des pièces musicales enregistrées.

 

Parmi la profusion d'articles consacrés en tout ou partie à ces problèmes de notation / transcription, on pourra lire celui de Gilbert Rouget "Transcrire ou décrire" (in "Echanges & communications offertes à Levi Strauss", Ed. ?) ou encore celui de Claude Laloum "à bâtons rompus, ethnomusicologie et musiques graphiques" (dans la revue "Musiques en jeu" n°13 : notations et graphismes) ou bien encore le numéro 12/1999 (dossier : "noter la musique") des "Cahiers de musiques traditionnelles", dont je donne ici le résumé :

Transcrire ou décrire : tel est le dilemne auquel sont souvent confrontés les ethnomusicologues. A qui s'adresse la notation ? au praticien ? au musicologue ? Quel est son but ? aide-mémoire ? aide à l'apprentissage ? fixation ? possibilités comparatives ? Qu'y a-t-il lieu de noter ? hauteurs, durées, timbre, geste du musicien ? Où en sommes-nous aujourd'hui avec les nouveaux outils technologiques (ordinateur, playback, Sonagraph, etc.) dont nous disposons ? Doivent-ils nous conduire à abandonner la notation sur portée ? Qu'en est-il par ailleurs de l'étude des notations musicales rencontrées dans certaines traditions ? Quels en sont les principes et comment fonctionnent-elles au sein de leur culture ? Quels sont enfin les enseignements que ces notations nous fournissent sur les méthodes cognitives qu'elles mettent en jeu ?

 

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