HISTORIQUE

 

            Le terme ethnomusicologie est assez récent. Il fut inventé en 1950 par Jaap Kunst (néerlandais, spécialiste de l’Indonésie). Son orthographe sans trait d’union fut adoptée par la société américaine d’ethnomusicologie en 1956 lors du congrès international des sciences anthropologiques et ethnologiques à Philadelphie. Ce choix orthographique répondait au désir de définir une discipline qui ne soit plus que la simple juxtaposition des deux disciplines dont elle empruntait les termes (cf. partie définition).

Si l'ethnomusicologie comme discipline scientifique est née vers la fin du 19è siècle, l'intérêt pour les musiques "lointaines" est beaucoup plus ancien. Intérêt ou désintérêt affiché d'ailleurs (que l'on se souvienne du mépris exprimé par Berlioz).

Sans support méthodologique précis, cet intérêt donna lieu à des écrits très sporadiques, parfois de grandes qualités, mais souvent emprunts de subjectivité.

Des modes "exotiques" ont existé au cours des siècles passés (turqueries, chinoiseries, serinettes...),  certains instruments ont pu être ramenés de l'orient (comme le tympanon) et certains ouvrages consacrés à l'observation de pratiques musicales lointaines publiés. Il est délicat pour autant de déterminer un texte pionnier.

En 1619, Michael Praetorius dans son "syntagma musicum" décrit des instruments de musique venus de lointaines contrées et dont les modèles ne devaient pas être très répandus en Occident, et qui sert encore aujourd'hui de référence pour les organologues.

Plus tard, J-J.Rousseau, comme d'autres littérateurs le feront par la suite, s'intéressera avec une rare ouverture d'esprit à des musiques extra-européennes (transcriptions d'un "air chinois", d'une "chanson persane", d'une "chanson des sauvages du Canada", etc. in "Dictionnaire de musique", 1768).

En 1779, le père J.Amiot publiera le premier ouvrage sur la musique chinoise : "Mémoire sur la musique des Chinois" (réédition récente).

En 1784, William Jones écrit à Calcutta "On the musical modes of the Hindoos".

On peut encore citer les travaux de G.Villoteau sur l'Egypte (en 1813 et 1816).

Au 19è, le développement du commerce et des voyages va accentuer de façon significative cet attrait pour l'exotisme (les thèmes et les décors d'Opéra, par exemple, sont là pour en témoigner).

En France, suite au décret du 13 septembre 1852 qui ordonnait la publication d'un Recueil Général des Poésies Populaires de la France, Hippolyte Fortoul et J-J. Ampère organisèrent une grande enquête nationale qui donna naissance à un important travail de collectage de chansons. De nombreuses critiques que l'on formule volontiers de nos jours sur ces "folkloristes" du siècle dernier (méthodologie insuffisante, ignorance des problématiques de la chanson populaire, perception exotique du peuple, idéologie marquée et fort désuète, vocabulaire vieillot, intervention sur le répertoire par des transcriptions parfois très libres, etc.) ne démentent en rien l'intérêt de ces travaux. On sait aussi le rôle que jouèrent d'autres écrivains dans ce mouvement (G.Sand, G. de Nerval, etc.). Cette vogue naît probablement de la rupture avec les valeurs de l'ancien régime et de la volonté, chez les Romantiques surtout, de retrouver dans l'altérité des valeurs disparues ou de nouvelles sources "régénératrices".

On pourra lire sur le sujet l'ouvrage de Jacques Cheyronnaud ("Mémoires en recueils, jalons pour une histoire des collectes musicales en terrain français", Montpellier, ODAC, carnets d'ethnologie n°1, 1986) ou encore les articles de l'ouvrage "Collecter, la mémoire de l'autre" (Geste éditions, collection Modal, FAMDT).

1884 est une date souvent citée pour les débuts de l'ethnomusicologie. Le philologue et mathématicien Alexander John Ellis publie un article sur les échelles musicales dans différentes nations, premier travail comparatif ethnomusicologique.

A partir du dernier quart du 19è siècle, les écrits vont se succéder. Naîtront en Allemagne, aux Etats-Unis puis en Europe de l'Est les premières grandes "écoles" ethnomusicologiques.

Ce sont les expositions universelles qui, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle révélèrent au grand public les musiques extra-européennes. On découvrait ainsi ces "musiques bizarres" (dixit Julien Tiersot, 1905) lors des expositions de Paris de 1889 et 1900. Souvenons nous aussi de ces compositeurs tels Debussy qui écoutait avec fascination les sonorités subtiles du gamelan javanais.

Folkloristes, anthropologues, musicologues stimulèrent ainsi un mouvement de recherche qui ne parvint à s’ériger en discipline scientifique qu’avec l’apparition des premières techniques d’enregistrement (Charles Cros puis Thomas Edison).

C’est à l’anthropologue américain Jesse Walter Fewkes que l’on doit la première utilisation de l’enregistrement dans cette discipline, en 1889, avec une étude sur les chants des indiens Zuni du Maine, conservée à la bibliothèque du Congrès de Washington. (http://www.mnh.si.edu/anthro/laexped/fewkessns.htm  pour des infos sur Fewkes)

La possibilité d’enregistrer des sons allait bien évidemment bouleverser de nombreuses choses. Elle permit aux premiers "ethnomusicologues" de conserver des données, de les étudier et de transcrire la musique avec bien davantage de précision. Les premières machines à enregistrer furent utilisées en Europe pour la première fois en 1894 par le Hongrois Béla Vikar qui les présenta à Paris en 1900. (http://emuseum.mnsu.edu/cultural/music/bela_vikar.html  pour des infos sur Vikar).

La même année, le Dr Azoulay procède à des enregistrements lors de l'exposition universelle de Paris.

Le travail des nombreux chercheurs qui collectèrent ainsi des enregistrements sur cylindre détermina la création d’archives sonores. Les premières en Europe furent celles de l’Académie des sciences de Vienne en Autriche (1899-1900), mais ce sont surtout les archives de Berlin, créées en 1902 avec des enregistrements de l'orchestre de cour du Siam, qui étaient les plus riches. Ces archives furent en partie détruites ou dispersées au cours de la seconde guerre mondiale.  Voir ici : http://www.ethnomusic.ucla.edu/Archive/ear_fall_2000.htm  pour des infos sur les archives de Vienne ou de Berlin.

C’est avec l’école de musicologie comparée de Berlin (la vergleichende Musikwissenschaft,  premier nom de ce qui allait devenir par la suite l’ethnomusicologie ) que naquit en Europe la discipline, avec des chercheurs comme Carl Stumpf, Erich von Hornbostel, Otto Abraham. Cette école fondait sa démarche sur la conviction de la supériorité du domaine ouest-européen, conviction qui peut s'expliquer par l'absence de terminologie adéquate pour désigner ces manifestations musicales méconnues ou inconnues.

La France se dote dans le courant des années 30 d’institutions spécialisées et prend certaines initiatives : enregistrements de la firme Pathé pour le musée de la parole et du geste à l’exposition coloniale de Vincennes de 1931. En 1929, André Schaeffner crée au musée d’ethnographie du Trocadéro (le futur musée de l’Homme) un département d’organologie qui deviendra le département d’ethnomusicologie par la suite. En 1932, Philippe Stern crée au musée Guimet une section musicale sur l’Asie. En 1937, Georges-Henri Rivière crée le Musée national de Arts et Traditions populaires au sein duquel, en 1944, Claudie Marcel-Dubois ouvrira un département consacré à l’ethnomusicologie de la France (et des pays francophones). Ce département de la musique et de la parole est aujourd’hui dirigé par Marie-Barbara Le Gonidec (http://www.musee-atp.fr/ pour des infos sur ce département).

De nombreuses missions en France ou à l’étranger sont dépêchées et donnent naissance à des études et monographies.

Ailleurs en Europe se développent des collections comparables. En Hongrie, avec Béla Bartok et Zoltan Kodaly, en Roumanie avec Constantin Brailoiu.

Après la deuxième guerre mondiale, l’amélioration des techniques d’enregistrement et surtout l’apparition des magnétophones à bandes dans les années 50 marque un tournant dans le collectage et augmente de façon significative le nombre de phonogrammes, leur qualité, et donc leur exploitation. L’étude des cultures musicales se trouve facilitée depuis par l’existence de collections sonores.

L'historique de l'ethnomusicologie a été traité dans un certain nombre d'ouvrages ou d'articles vers lesquels il faut naturellement se tourner pour des informations plus détaillées. On pourra lire avec intérêt le chapitre qui est consacré à cette discipline dans le "Précis de musicologie" de Jacques Chailley (Presses Universitaires de France) ou l'article de Charles Boilès et J-J.Nattiez "Petite histoire critique de l'ethnomusicologie" (publié dans la revue "Musique en jeu" n°28, septembre 1977).

 

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