Qu’est ce qu’un instrument de musique?
Une définition culturelle...
Parmi l’ensemble des objets manufacturés qu’elle utilise, chaque société distingue ceux qu’elle considère comme des instruments de musique et ceux qui ne le sont pas. La cloche par exemple, est reconnue dans la société occidentale du début du XXe siècle comme un instrument signalétique, qu’un clocher l’abrite ou qu’elle tinte au cou d’une bête. En aucun cas elle n’appartient à la catégorie des instruments de musique au même titre que la flûte ou le violon. C’est donc un objet sonore et non un instrument de musique.
On conviendra que si cette limite est un peu floue - que penser du carillon? - ces définitions fonctionnent au sein d’une société donnée où elles trouvent leur sens. Or, dès que l’on considère un objet au potentiel sonore identique à travers différentes cultures, on constate que les choses ne sont pas si simples. Prenons le cas du hochet. S’il s’agit bien d’un instrument rythmique dans le cas des maracas, c’est en revanche un jouet en plastique destiné à éveiller les sens d’un bébé pour un Français d’aujourd’hui, ou encore, un objet éminemment rituel et de caractère sacré chez les chamanes de Sibérie ou d’Amazonie. Tout cela est relatif et on voit bien que la notion d’instrument de musique est indépendante de la société étudiée, voire du contexte au sein d’une même société (cas du carillon). Ainsi ce n’est pas parce qu’un objet est sonore que c’est un instrument de musique, dans la société considérée.
... et une définition scientifique
Or, la position adoptée par l’ethnomusicologie, en tant que discipline scientifique, est radicalement différente: elle se doit de considérer comme instrument de musique tout objet, naturel ou manufacturé, utilisé pour produire un ou plusieurs sons dans le contexte d’une pratique sonore, quelle qu’en soit la fonction: rite, divertissement, travail, etc.
On voit que cette définition est extrêmement large. Elle inclut par exemple, le temps de leur usage sonore, des objets détournés de leur destination habituelle – c’est ainsi que la planche à laver, washboard, objet domestique s’il en est, est devenu un instrument de percussion! Comment s’y retrouver dans cet univers sonore considérable où le recours aux repères culturels est impossible, car il vient fausser la compréhension de l’objet ?
Cela est d’autant plus difficile que le scientifique, en l’occurrence l’ethnomusicologue, utilise des termes élaborés par la société occidentale qui a elle même ses référents culturels, sans, quand il les utilise, renvoyer à ces référents! Si on pense au terme hautbois par exemple, il renvoie autant au terme d’usage (ou terme vernaculaire) désignant l’instrument de l’orchestre occidental qu’à la catégorie organologique: le zurna, le hichiriki, le suona.... sont des hautbois, c’est-à-dire des instruments à anche double, de Bulgarie, du Japon, de Chine.
Que de confusions possibles!
Car la science, produit d’un même modèle culturel, celui de l’Europe occidentale et de l’Amérique du Nord, en utilise les concepts, ce qui prête grandement à confusion dans certains cas. Ce modèle, placé sous le signe d’une rationalité scientifique est perçu comme universel ce qui le rend potentiellement détachable de la civilisation dans laquelle il a vu le jour. Potentiellement... car il reste difficile d’appeler n’importe quel objet sonore «instrument de musique».
Les mots flûte ou sifflet constituent de bons exemples. Fonctionnant sur le même principe acoustique, ils appartiennent tous deux à la catégorie des aérophones de type «flûte». Le recours plus spontané aux termes d’usage amène souvent à appeler «sifflet» une flûte globulaire ou une flûte courte dépourvue de trou de jeu sans pour autant savoir si l’instrument est bien un sifflet : car «sifflet» n’est pas une catégorie instrumentale mais seulement le nom vernaculaire d’un aérophone de type flûte utilisé dans un cadre bien déterminé : la signalétique sonore. On oppose flûte à sifflet, dans notre propre culture occidentale, car l’usage de ces deux aérophones se différencie: le premier s’utilise dans un cadre musical (de nos jours et depuis plusieurs siècles), le second sert éventuellement à désigner le dispositif qui caractérise la flûte à bec, c’est-à-dire le principe du conduit d’air, mais surtout, désigne un petit instrument au son aigu utilisé pour signaler sa présence, donner un ordre, attirer l’attention... Si bien que le sifflet est bien une flûte!
D’autres écueils terminologiques nous guettent. On a parlé plus haut du hautbois. Parmi les instruments à cordes, le problème est le même : utiliser comme terme générique pour désigner une famille le nom d’un instrument particulier. Le luth appartient à la famille des luths. La guitare est un luth ... Une vielle à roue n’est pas une vièle (attention aussi à l’orthographe) mais une cithare, à ne pas confondre non plus avec le sitar qui est un luth indien. On y reviendra en temps voulu.
D’où l’intérêt, dans les publications de notre discipline, de mettre en italique les termes d’usage, ou termes vernaculaires, et en romain les termes de catégorie pour bien distinguer les niveaux auxquels on se place.