L'enregistrement et la re-création

 

            Voici ébauchée une réflexion sur quelques problématiques que soulève l'existence des moyens mécaniques d'enregistrement du son.

D'une part par l'utilisation qui est faite de ces procédés dans les enquêtes de terrain, et la possibilité qu'ils offrent à une analyse musicologique minutieuse. Ce premier point est évoqué dans d'autres textes présentés sur ce site, on n'y reviendra pas ici.

D'autre part par leur utilisation commerciale de la part d'artistes ou de chercheurs.

Ce deuxième point sous-tend d'autres questions. Quelle démarche adoptent les artistes dans leur travail et quelle justification faut-il éventuellement donner à l'interprétation d'une musique sortie de son contexte d'origine ? Qu'en est-il de la question du droit ?

La fixation définitive sur des supports magnétiques d'un corpus musical fait naître deux attitudes, deux "écoles" possibles pour l'interprète actuel qui cherche du répertoire.

- Celle qui cherche la fidélité absolue à l'œuvre, imitant dans les moindres détails tous les particularismes entendus, même s'il est clair qu'il s'agit parfois de "lacunes" ou d'approximations évidentes (notamment dans les paroles).

Des interprètes recherchent aujourd'hui dans des phonothèques, des sources enregistrées qu'ils étudient et reproduisent à l'identique.

Un terrain qui n'a pas été envisagé sur des années donne naissance à des enregistrements parfois uniques qui seront ensuite pris comme modèles, comme canons. Un enregistrement n'est qu'une version parmi d'autres. Les terrains africains ont donné des exemples de mauvaises interprétations volontaires par souci de se "moquer du blanc", et dont les sources ont induits en erreur des chercheurs eux-mêmes.

- Et celle qui optera vers une (ré)interprétation personnelle et originale, privilégiant la démarche artistique. Elle "recherchera une imprégnation faite d'une dialectique fragile entre proximité et distance", selon les mots de J-F. Dutertre ("La voix parmi les recueils" dans "Collecter la mémoire de l'autre", ouvrage collectif de la collection Modal, Ed. Geste).

Faut-il justifier -et comment- la décontextualisation du répertoire ? Un chant de labour d'une région de France a-t-il encore la même valeur (et la même saveur) interprété sur une scène par un groupe de musiciens ? Ne conserver que la dimension musicale d'un chant fortement ancré dans une tradition ne revient-il pas à le dénaturer, voire à le trahir ? Il ne s'agit pas de répondre ici à ces questions, mais de soulever un problème maintes fois évoqué par des "puristes" de la tradition.

La réponse passe souvent par une justification par recontextualisation. On emprunte une musique, on modifie la fonction originelle (une berceuse dont la fonction première était de bercer deviendra une berceuse dont la fonction est d'émouvoir le public), on modifie le contexte et le rituel (cadre familial originellement, cadre de spectacle nouvellement), et on interprète après avoir éventuellement expliqué tout ça au public.

La question économique est, elle, plus cruciale. L'appropriation de certaines musiques ou chansons puisées dans le répertoire traditionnel pose un problème de droit malaisé à résoudre. A qui appartient la musique puisée dans des sources documentaires ? Au chercheur qui a effectué les enregistrements, à l'institution qui les abrite, à l'interprète, (surtout dans le cas d'artistes qui reproduisent à l'identique un enregistrement entendu) ?

La publication d'un disque à caractère scientifique pose le même problème en des termes encore plus difficiles, si l'on songe qu'il faudrait en principe pouvoir rémunérer les musiciens enregistrés, sachant les difficultés que cela présente lorsque l'enregistrement a été effectué il y a des années à l'autre bout de la planète, et qu'aucun contact n'a été gardé.

Concernant les problèmes de droit, on pourra trouver des informations auprès du Centre d'Information des Musiques Traditionnelles (http://www.irma.asso.fr/-CIMT-).

 

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